Culture

La belle histoire

LE PEIGNOIR

Histoire d'une pièce incontournable contée par Isabelle Crampes, fondatrice du label de vêtements patrimoniaux "Detoujours" et commissaire d'expositions.
Melle Trouhanova (en peignoir de bain sur les planches d'une plage) / (Agence Rol)
Source Gallica / Bibliothèque nationale de France

Un vêtement charrie beaucoup plus que sa fonction première, faisant rayonner avec lui toute la puissance de ceux qui l'ont choisi au point d'en faire un style ou une légende. Au Cercle, le peignoir est un emblème, et ici cette pièce intime, de vestiaire, de confort, brille soudainement du prestige de tous NOS champions. Être en société en peignoir est, sinon assez rare, un privilège lascif ou de sportif. Intellectuels, artistes, aristocrates se l'accaparent dès le XVIIIe où on l'appelle banyan, porté plus à l'écriture dans la chambre ou pour tenir salon qu'au sortir du bain, très rare. Aux temps modernes, on nous propose quelques gominés hollywoodiens élégants et autres OSS 117 français, en peignoir de soie ou kimono japonais. Delon, en it-man du genre, l'arbore sur soie fine et sombre. La piscine, ensuite, vient tout changer. Devenant une nécessité, autant collectiviste que privée et bourgeoise, elle fait du peignoir éponge l'indispensable accessoire de la natation et du corps nouvellement dénudé. Il devient signe de virilité, de sensualité, autant que d'hygiène, de santé et d'allures athlétiques et bronzées. Un truc de dandy et de pétroleuse en somme. Qui a failli avoir mauvaise réputation, par la faute de certains de ses fidèles, aujourd'hui honnis. Hugues Heffner, DSK, ou Harvey Weinstein reçoivent en peignoir afin d'imposer rapidement leur nudité, protocole commun à leur effrayante maladie gloutonne. Pourtant, c'est LUI qui les a fait chuter comme marqueur précis de l'innapproprié. Heureusement, son cousin sportif - le peignoir idéal - sauve l'honneur de la famille. Noble, grâce à son indétrônable coton bouclette inventé en France, les textiles techniques tentent de l'inquiéter en vain, quand le nid d'abeille ou le lin s'ajoutent encore aux tentations tactiles de la fibre naturelle. Au Cercle, son empire, porté armes brodées au dos, il est la marque de ceux qui se baignent vraiment, et les anneaux olympiques ne sont pas une "déco" accrochée aux murs du club, ils sont le rappel de la discipline d'excellence qu'est devenue la pratique de la nage. Leurs propriétaires y fourrent bonnets et lunettes en fond de poche avant de déployer leurs muscles puissants dans l'écho d'une voûte spectaculaire au-dessus du bassin et face à la mer. Car la Méditerranée scintille à nos pieds, prête à nous laisser glisser sur son sel avant de nous rendre au coton. Le vêtement en éponge est, ici, un indispensable qui court depuis le teck jusqu'au sauna à 70°, dans l'hiver miraculeux d'une mer à 13°, blanche d'écume dans un ciel vif et un soleil marseillais fidèle. On le croise, suspendu à la patère contre les carreaux de grès du coin scandinave où chantent en cœur "La pooorte" ceux qui tiennent le donjon de la chaudière des rapports humains qu'est cette boîte en bois. Les plus anciens chevaliers du "peignoir maison" partagent leur protocole de bain hivernal : des quasi-médecins, connaissant tout du corps humain... et de la blague aussi ! En somme, le peignoir est le meilleur refuge de tous les mouillés de la terre et, au CNM, on est plus mouillé qu'ailleurs. L'eau est notre élément. I.C.