
UGO CROUSILLAT
Leader dans l'âme
On lit souvent que tu es en quelque sorte « né » au CNM. Peut-on revenir sur ton histoire personnelle avec le club ?
C'est vrai, on peut dire que je suis un pur produit du CNM ! Mon père aussi était membre du club, j’ai fait toutes mes classes dans l’École de water-polo et mes premiers matchs en pro. J’en suis parti deux fois mais revenu à chaque fois. Et aujourd’hui, je suis en contrat avec le club jusqu’en 2028 : je finirai ma carrière ici. Donc le Cercle, pour moi, cela a beaucoup de sens. Hormis le sport, ce qui est magique ici, quand on est un enfant du club, c’est l’esprit familial et le fait de pouvoir vivre des moments de partage avec des générations différentes.
Partir pour revenir, qu’est-ce que cela t’a apporté ?
Je suis parti une première fois entre 2012 et 2014 au Monténégro et en Italie, puis entre 2016 et 2019 j’ai été en Hongrie et à Aix-en-Provence. Partir du club, c’était découvrir d’autres cultures, travailler autrement, mais c’était surtout sortir de ma zone de confort et me rendre compte d’autant plus de tous les avantages du CNM, qu’ils soient humains mais aussi de l’ordre des infrastructures. Tant que l’on n’est pas parti, on ne se rend pas compte que l’on s’entraîne ici dans des conditions incroyables. Ailleurs, on trouve généralement une piscine et une salle de musculation. Ici, on a cette ouverture sur la mer et la possibilité de s’y baigner la majeure partie de l’année. Les athlètes déjeunent ensemble tous les jours : en plus de la praticité, ce sont des moments qui fédèrent et développent un groupe. Ce n’est pas rien. Les bains froids et le sauna, sur le long terme, aident aussi beaucoup au niveau de la récupération.
À présent, tu es donc à la tête de l’équipe de France de water-polo, dont la dernière médaille olympique remonte à 1924 lors des Jeux de Paris ! Comment se sont déroulés ces jeux &
D’un point de vue émotionnel, il n’y a pas d’égal avec ce que l’on peut vivre lors des JO à domicile. J’avais eu la chance de participer à ceux de Rio en 2016 mais cette année c’était encore autre chose. Concernant ma préparation, j’ai essayé de miser sur la continuité de mon travail. Mais tout de même, lors de moments de fatigue, en hiver, à la fin de certains entraînements, c'est avec l'objectif des JO en tête que je poussais un peu plus. C’est un événement rare qui m’a animé durant toute ma préparation.
Malheureusement, l'équipe de France n'a finalement pas réussi à atteindre les quarts de finale. Es-tu déçu du résultat ?
Oui, bien sûr, c'est une déception. Notamment car on avait atteint de très belles choses ces trois dernières années. Il y a 5 ans nous étions douzièmes aux championnats d’Europe tandis que sur les compétitions majeures des 3 dernières années, on a fait 4 fois le top 6, dont une quatrième place à Doha en février 2024. Des résultats qui nous ont permis d’arriver à Paris avec des ambitions exceptionnelles dans l’histoire du water-polo français de ces dernières décennies. Nous rêvions d'une médaille. Après, c’est le sport : il y a plein de paramètres qui font que ce n’est pas toujours l’équipe la mieux préparée qui va gagner.
Ça change quoi, à ton sens, les Jeux à domicile ?
Tout ! Surtout pour un sport mineur comme le water-polo. Les sports plus médiatiques ont l’habitude de faire des compétitions en France devant un public nombreux. Mais nous concernant, être confronté à 17 000 personnes autour d’une piscine, c’est juste unique. Voir l’amour que les Français nous ont donné, pour la cérémonie d’ouverture d’abord, puis durant les matchs et même lors de notre élimination, c’est inexplicable et ça m’a donné beaucoup de force pour la suite. Les Jeux de Paris nous ont aussi permis de faire connaitre davantage le water-polo en France. Culturellement, c’est un sport qui n’est pas aussi connu chez nous qu’en Serbie, en Croatie, en Hongrie ou en Italie : des pays où le water-polo passe à la télévision et où l’on pratique cette discipline très tôt, là où en France on passe d’abord par le foot ou le handball. Les équipes adverses sont donc souvent plus jeunes que les nôtres, ce qui est clairement un atout pour eux. Elles sont également plus soutenues et mieux accompagnées par des coachs, des kinés, des préparateurs physiques ou des psychologues. Ces dernières années, on a enfin pu bénéficier nous aussi d’un staff complet et on a vu les résultats.

Tu as une double casquette de capitaine, qu'est-ce que cela représente pour toi ?
C’est vraiment une fierté pour moi, d’être à la fois capitaine de l’équipe de Marseille, depuis 3 ans, et avant ça, depuis 8 ans, de l’équipe de France. C’est très riche d’un point de vue humain : on est 13 dans l’équipe, avec des tempéraments différents, des envies et des frustrations à gérer. Être capitaine, c’est réussir à emmener son équipe avec soi, c’est être à l’écoute, prendre la parole, entrer en conflit parfois. C’est être exemplaire aussi, dans sa personnalité, son attitude. Et puis c’est avoir un autre rapport à l’équipe que celui de l’entraîneur : une proximité différente – plus amicale peut-être – qui permet de comprendre et résoudre autrement les problèmes, ce qui fait de nous un interlocuteur privilégié.
Concrètement, qu'est-ce qu'implique un tel rôle pour un joueur ?
C’est une marque de confiance, de respect et un honneur, mais c’est aussi beaucoup de travail et de responsabilité quand on s’investit dans ce rôle. Et si je l’ai accepté, c’est vraiment pour incarner ça, progresser et apprendre : je discute régulièrement avec d’autres capitaines, je lis beaucoup de témoignages sur le leadership pour mieux comprendre le facteur humain, j’échange beaucoup sur le management avec ma sœur aussi, par exemple, qui tient un restaurant.
Mais il faut être attentif à ne pas se perdre non plus, en voulant régler ou absorber tous les problèmes. On doit être une oreille, on doit donner les outils, mais après, il faut savoir connaître les limites de son rôle. À ce niveau, ce qui m’aide beaucoup, c’est de me dire que ce qui compte le plus, c’est d’abord mes performances dans l’eau, car plus je vais être bon, moins je vais douter et plus je vais être solide.
2028 sera ton dernier objectif en équipe nationale. Comment se prépare-t-on à une telle échéance et comment projeter la suite ?
C’est dur de me projeter car je suis encore beaucoup investi dans les challenges présents. Les Jeux Olympiques de Los Angeles constituent un objectif sérieux. Je sens qu’individuellement il y a encore des endroits où je peux progresser et c’est un bonheur de savoir ce sur quoi je dois travailler. Pour l’après water-polo, j’aimerais rester dans le sport, mais pour l’instant j’ai du mal à m’imaginer entraîneur. Il y a d’autres métiers qui m’animent et qui se rapprochent d’ailleurs du rôle de capitaine d’équipe : comme travailler en tant qu’agent de sportifs ou sur de la préparation mentale par exemple. En attendant, je suis vraiment très fier de poursuivre mon contrat jusqu’en 2028 et hyper motivé pour gagner une ligue des champions avec le Cercle, qui est quand même un club historique mythique. Le plus connu en France !
Un signe distinctif de ce sport, qui le rend singulier ? Récemment, une étude est encore sortie disant que le water-polo était le sport le plus dur du monde : c’est flatteur pour nous, mais je n’aime pas trop dire ça car tous les sports de haut niveau ont à mon sens leur difficulté. Mais une chose est sûre : on est dans l’eau, qui n’est pas notre élément, ce qui rend les choses beaucoup plus compliquées. On est quasiment en permanence en duel physique avec notre adversaire et avec l’élément eau. Hyper complet : il faut être bon niveau cardio, niveau physique parce qu’il faut nager très vite. Il faut être capable répéter des efforts, et de rester très tactique, lucide, malgré la fatigue, pour pouvoir faire les bons choix dans un match.
