
Mélanie HÉNIQUE
La force tranquille
Après les Championnats de France de juin, tu as abandonné ton titre de capitaine de l'équipe de France. Ce rôle ne te convenait plus ?
Être capitaine a été très important dans mon parcours. On m'a fait confiance et ça m'a portée. Quand je suis arrivée en équipe de France à l'âge de 16 ans, j'étais un peu perdue et on m'a montré le chemin. J'étais donc heureuse d'accompagner les jeunes nageuses à mon tour, en leur transmettant mes valeurs, l'amour de la natation et de la compétition. Avec Florent Manaudou nous formions un très bon binôme mais, au bout de sept ans, j'ai eu besoin de passer le rôle à quelqu'un d'autre. C'était le bon moment.
La saison 2022 / 2023 s'est achevée par les Championnats du monde où tu as été éliminée en séries du 50 m et où tu es arrivée 8e de la finale du 50 m papillon. Que s'est-il passé ?
Je n'ai pas été très en forme. Les Championnats de France s'étaient déroulés cinq semaines avant et entre les deux j'ai eu une perte d'énergie. J'ai dû récupérer et je n'ai pas pu travailler autant que je l'aurais souhaité. Je suis aussi arrivée au Japon trois semaines avant ma première course. C'était trop tôt. Tout ce contexte peut expliquer ma condition physique et ces résultats décevants mais je préfère retenir le positif. Participer à une compétition mondiale en équipe de France est toujours intéressant sur le plan de l'expérience. Et avec Julien Jacquier, mon entraîneur, nous savions que cette année était une année de travail... Désormais il y a une nouvelle page blanche à écrire.
Avec évidemment les Jeux Olympiques en ligne de mire. Comment les abordes-tu ?
Jour après jour. Les Jeux, en tant que sportif, c'est un événement essentiel qu'on attend, qu'on prépare énormément. Encore plus quand ils se déroulent à domicile. Nager devant mes proches en tribunes, ça serait quelque chose d'exceptionnel.... Je vais mettre toutes les chances de mon côté pour me qualifier et pouvoir représenter mon pays et mon club. Mais ça se construit sur la durée, étape par étape. Je rêve d'une médaille mais le plus important pour moi c'est de progresser, d'élever mon niveau en tant que nageuse, quel que soit l'objectif final.
Ton 50 m papillon fétiche n'étant pas olympique, tu dois à nouveau te focaliser sur la nage libre. Ce changement est-il difficile à mettre en place ?
Non, c'est un changement dont j'avais besoin. Travailler un autre type de nage est amusant et ça me permet d'aller plus loin, de découvrir comment me servir de mon corps autrement et de tester mes limites. Déjà l'année dernière j'avais entrepris de changer ma préparation physique en allant vers plus de cardio et d'endurance et en travaillant mieux ma coordination hors de l'eau. Pour moi qui ne suis pas du tout terrestre, c'est un vrai challenge.
J'ai lu que tu t'es inspirée de la préparation physique de la joueuse de tennis grecque Maria Sakkari pour ça.
Effectivement ! En faisant des recherches pour m'inspirer, j'ai découvert la série documentaire Break Point, sur Netflix, qui suit le quotidien de trois joueurs de tennis. J'ai trouvé beaucoup de similitudes entre le tennis et le crawl dans la manière de se servir de tout le corps et j'ai beaucoup aimé la préparation physique de Maria Sakkari que j'ai trouvé très novatrice. Je me suis beaucoup renseignée là-dessus ensuite pour pouvoir l'adapter à la mienne avec Julien Jacquier et Antoine Marmigère, mon préparateur physique. C'était un gros challenge avec des choses que je ne maîtrisais pas du tout mais j'ai pu voir les premiers résultats au bout de quelques mois. Aujourd'hui je me trouve mieux hors de l'eau, plus athlétique...
Et tu as aussi modifié ton régime alimentaire.
Oui, en 2019 j'ai eu une année compliquée avec plusieurs blessures qui m'ont empêchée de me qualifier pour les Championnats du monde. Avec ma diététicienne, Hélène Defrance, qui a été médaillée olympique en voile, on a cherché pourquoi je me blessais si souvent et ce qu'il fallait que je change dans ma nutrition. J'ai fait plusieurs bilans sanguins qui ont montré que j'étais intolérante au lactose et au gluten, ce que j'ignorais. Après ça on a complètement modifié mon alimentation et tout a changé. En à peine trois mois, j'ai vu une nette différence : moi qui faisais de l'asthme, je respirais mieux, je nageais mieux et je ne me blessais plus.
On a le sentiment que tu es toujours en quête de moyens pour t'améliorer...
Tant que je sais que j'ai de la marge pour être meilleure, je me dois de chercher des pistes d'amélioration. Après cette mauvaise saison 2018 / 2019, je savais qu'il fallait que je change profondément des choses si je voulais poursuivre ma carrière. Et ces changements devaient venir de moi. Après une pause salvatrice de deux mois, j'ai pris une feuille blanche où j'ai listé tous mes objectifs pour la saison suivante. L'un d'eux était d'être championne d'Europe et de réaliser un chrono de 24"50. Tous les changements que j'ai mis en place ensuite visaient à les atteindre. Trois mois plus tard, je remporte quatre médailles aux Championnats d'Europe et je suis championne d'Europe en Écosse avec un temps de 24"56. C'était fou ! Mais quand on ne se met pas de limite, tout devient possible.
L'an dernier tu as perdu ton frère, Sylvain. Quelques mois plus tard tu décrochais un second titre de vicechampionne du monde. Où as-tu puisé cette force ?
Aucune épreuve de natation ne sera aussi difficile que ce que j'ai déjà eu à affronter dans ma vie... J'ai traversé un certain nombre d'épreuves très difficiles mais je crois qu'on peut être heureux et réussir dans les disciplines les plus exigeantes si on aime ce que l'on fait. J'aime me lever le matin et savoir que j'ai le pouvoir de rendre ma journée meilleure en atteignant mes objectifs. C'est vraiment ce qui guide tous les sportifs de haut niveau je crois, se sentir meilleur chaque jour.

Tu nages depuis l'âge de 6 ans. Tu n'as jamais cessé d'aimer ça ?
L'eau est vraiment mon élément. Dès que je suis dans l'eau, je vais mieux. Et quand je m'en éloigne trop longtemps, je ressens un manque. Mais même si j'ai toujours nagé, j'ai aussi évolué et tout ce que j'ai vécu est venu modifier ma façon d'appréhender la natation. Je n'ai pas toujours nagé avec les mêmes objectifs ni pour les mêmes raisons. C'est pour ça que je n'ai jamais ressenti de lassitude. Je suis en équipe de France depuis près de 14 ans, la notion de plaisir est vraiment essentielle pour garder intact le désir de remporter des médailles. Et m'entraîner au Cercle y participe d'ailleurs beaucoup.
De quelle manière ?
La natation est un sport très exigeant, mais si on rend l'exigence plaisante, ça devient plus facile. J'aime le mélange entre les sportifs et les membres. Ça apporte quelque chose en plus, une ambiance unique. Il y a le cadre ensuite ; nous avons un environnement magnifique avec la Méditerranée tout autour de nous. Et puis il y a l'histoire. Le CNM est un club mythique qui a remporté un nombre de médailles incroyable. Quand je nage dans le bassin olympique, entourée de tous les drapeaux qui retracent les succès du club, je ressens beaucoup de fierté. Ça me porte au quotidien et je suis honorée de pouvoir représenter le Cercle. .
